Mon travail d’encres sur des surfaces de papier de grand voire très grand format, met le spectateur dans une confrontation directe immersive et à son échelle. Il ne peut plus garder une distance avec ce qu’il regarde, mais s’y trouve immergé. Ce faisant l’expérience sensitive est directe et radicale. L’encre regardée devient une invitation au voyage et à la confrontation d’égal à égal. Il n’y a plus celui qui regarde et qui jauge, mais deux acteurs d’une expérience picturale unique, source d’interactions riches et fécondes.
Avec la complicité de Jean-Yves Lepetit et d’Antoine Pérus (association Zinzolin), j’ai commencé à investir des lieux patrimoniaux, dans lesquels nous nous intéressons tout particulièrement à la confrontation du papier avec l’édifice monumental. J’y retrouve l’opposition entre la douceur du pinceau et la dureté du trait de l’encre. Cette confrontation de l’encre sur papier et de la pierre ou d’autres matériaux de construction, permet également une réflexion sur le volume et la lumière, mais aussi sur les formes. Elle souligne et met en valeur les caractéristiques plastiques de ces bâtiments patrimoniaux. Tout ce qui, a priori, s’oppose, dureté, lourdeur et opacité de la pierre, souplesse, légèreté et transparence du papier, finalement se mettent en valeur mutuellement dans une harmonie heureuse.
Cancan galerie à Villedieu-les-Poêles – 2023
Pour l’acte II de l’exposition Kaiso-e, à Cancan galerie à Villedieu-les-Poêles, j’ai conservé l’idée d’une surface noire recouverte avec certaines algues qui m’ont servi à produire les encres de l’exposition. Le lieu ne me permettant pas les dimensions du mur dédié à cette surface au 102 Ter, j’ai donc utilisé une étagère des vitrines que l’on pouvait voir directement en entrant dans la galerie.

J’ai également installé une lisière de forêt, cloisonnant par un jeu de transparence l’espace. Enfin j’ai fait disparaître la verrière du grand couloir qui mène au jardin clos, par quatre de mes arbres géants (25 mètres de long chaque) que j’avais utilisés à Saint-Nicolas à Caen en 2019. Cet habillage de l’espace rendait la déambulation immersive. Il soulignait l’architecture très spécifique du lieu (plus vieille maison de Villedieu-les-Poêles), tout en transformant la perception que l’on pouvait s’en faire. C’est cette interaction intime entre un bâtiment et le visiteur qui y déambule, qui m’intéresse et que je cherche à provoquer.






102 Ter à Caen – 2023
L’exposition au 102 Ter, bd Leroy à Caen, est l’acte I d’une proposition en deux temps, dont le deuxième temps (acte II) aura lieu à cancan galerie à Villedieu-les-Poêles, intitulée Kaiso-e, ou peindre avec l’algue. Cette proposition est le résultat d’une rencontre étonnante entre l’encre et les algues sous toutes leurs formes. A l’instar du gyotaku , l’art japonais de l’empreinte de poisson, l’algue possède, quand elle est encore « vivante », la capacité merveilleuse de rétention de l’encre, lui conférant un statut de pinceau…
Une forêt « sous-marine » a été installée, comme dans toutes les dernières expositions, profitant ici de la hauteur sous plafond d’environ 5 m, mais aussi de la possibilité de la voir par le haut depuis le premier étage en mezzanine.
Un mur d’encre noire propose une lecture des bas-reliefs et des algues, utilisées dans les travaux exposés, présentés dessus, grâce à une lumière rasante provenant de l’immense baie vitrée orientée au nord.



église St-Nicolas à Caen – 2019
L’exposition dans l’église Saint-Nicolas à Caen en juillet 2019 marqua un tournant significatif dans cette démarche et dans ma façon d’aborder le travail in situ. Au-delà de s’adapter aux contraintes et à la configuration des lieux afin d’orienter en amont le travail en atelier, la réalisation de la grande vélaire (https://youtu.be/bHEpCHni5oU), une encre de 50 m, dans le bâtiment, plusieurs mois avant l’exposition, fait prendre une autre dimension à notre approche, puisque c’est le lieu lui-même qui a permis la réalisation de l’encre. Une vidéo montre les problèmes techniques auxquels nous nous sommes confrontés pour l’installation de l’encre (https://youtu.be/f2uIgv04v3s). Une forêt de plus de 220 encres suspendues, dont les dimensions varient entre 25 et 50 cm de large et entre 200 et 400 cm de haut, permettait aux spectateurs une immersion complète dans l’installation.
A cette occasion j’ai invité la compagnie V.O. Olivier Viaud avec la danseuse Véronique Ben Ahmed pour deux performances Loïe notation, qui se sont déroulées les mardi 2 juillet et samedi 6 juillet dans l’exposition (https://youtu.be/9gSuaw5VVZQ).
Un livre a été édité aux éditions du Chameau (editionsduchameau.free.fr). Il est préfacé par Véronique Sablery et Keiko Arai. Les photographies du livre sont réalisées par Tristan Jeanne-Valès, Kévin Louviot, Claude Boisnard, Anita Rigot, Eric Bourdon, Denis Chasserot et François Bourdon.
Reportage effectué dans l’exposition dans l’église St Nicolas à Caen, le 2 juillet 2019 dans le cadre de l’émission « Là où ça bouge (LOCB) », et diffusé sur France 3 Normandie : https://www.youtube.com/watch?v=bdliNI3oBQY













les fosses d’enfer à St-Rémy-sur-Orne – 2018
Exposition inaugurale et solo dans le nouvel espace culturel (exposition, médiathèque et restauration) « les Fosses d’Enfer » à St Rémy-Sur-Orne, du samedi 23 juin au samedi 1er septembre 2018. Vernissage le samedi 23 juin avec la fanfare les Monty Pistons.
Cette exposition a été mise en scène par Jean-Yves Lepetit et Antoine Pérus de l’association zinzolin de Caen, avec la participation de Didier Malhaire, Anita Rigot, Jean Jonckeau, Fabienne Lachèvre-Frongia, Sophie Chrétien et Sophie Thibault.
A cette occasion j’ai rencontré trois groupes d’enfants des classes de maternelle de St Rémy-Sur-Orne et leur ai présenté l’exposition. L’un d’entre eux (Louis) a eu cette phrase empreinte de poésie et de pertinence devant l’une des encres présentées : « Les plumes elles sont heureuses… » Merci Louis !
Une vidéo était présentée dans l’exposition sur le travail du geste dans la matière (https://youtu.be/YcIIW7-y9Tw).



Sépulcre à Caen – 2017
Dans l’exposition au Sépulcre en 2017, l’ensemble du bâtiment fût investi par des installations multiples, tirant parti des caractéristiques du lieu. La première forêt vit le jour. L’année suivante nous avons poursuivi cette approche dans la salle d’exposition du nouveau lieu culturel à Saint-Rémy-sur-Orne. Sa forme rectangulaire et plutôt allongée nous a introduit de nouvelles contraintes scénographiques moins évidentes à aborder. Plusieurs installations, comme une forêt, nous permirent de créer du relief dans une salle assez ouverte et plate.




Extrait du catalogue de l’exposition du Sépulcre – 2017 :
« Nuée de papillons :
Quand je suis allé à Taipei, l’hiver dernier, j’ai trouvé dans une librairie de livres d’occasion (Mollie used Books), le livre « Concious », absolument magnifique, du photographe chinois Chang Chih-huei. Ce sont essentiellement des photos noir et blanc de végétations à l’état naturel (forêts de bambou, arbres…). Les photos sont très stylisées, recadrées au format carré, avec une vision très asiatique de la nature. J’aime énormément ce genre de travail photographique, dans lequel la lumière est magnifiée par les nuances de gris des textures, et la nature devient une abstraction interprétative, comme peut l’être un trait de Matisse. On y voit des bambous, des troncs, des feuillages…, mais en même temps, par le côté formel et sensible (oxymore de l’art) on est transporté ailleurs. Je ressens la même sensation avec le trait de Matisse. On y voit ce qu’il représente, un visage, un corps, une fleur…, et en même temps une fragilité, une sensibilité, un doute, autant de dimensions qui nous ramènent à la vie, à notre condition, à la singularité de la vie, unicité dans la pluralité, unique à chaque fois et pourtant terriblement ressemblante aux autres vies. C’est précisément ce qui m’écarte des choses trop maîtrisées, qui m’apparaissent comme trop lisses.
Dans ce livre « Concious », une photographie m’a ému au point de m’en inspirer pour une installation de l’exposition. C’est une contre-plongée vers le ciel faite sous un arbre, où l’on voit un entrelacement gracieux, bien que désordonné, de branches et de feuilles fines et pointues comme des langues de chat (les gateaux !), évoquant une nuée de papillons. Avec Jean-Yves, nous avions pensé faire une installation qui occuperait une partie du large volume dans le coeur de l’édifice, brisant sa symétrie architecturale trop prégnante. Ce que nous fîmes en remplaçant les feuilles par des feuilles de papier extraites de mes livres « Pentimento ». Jean-Yves avait pensé démarrer l’envol à partir de socles en bois, relativement massifs, à l’aplomb desquels sortiraient les premières feuilles, avant de s’élancer dans l’espace, soulignant ainsi l’effet de vide entre les socles et les feuilles suspendues. J’avais imaginé compléter ces socles en bois par des socles remplis de feuilles de papier et d’autres de cendre, la trilogie de l’encre. Finalement nous n’avons pas pu avoir les socles espérés, mais un ensemble très hétéroclite de petits morceaux de bois dans des essences variées en textures et en coloris.
Jean-Yves et Antoine commençèrent à installer les morceaux de bois sous la nuée constituée de cent trente-huit encres suspendues chacune à un fil de lin. Au lieu de se renforcer, les deux installations se nuisaient l’une à l’autre par une trop grande imbrication. Ils décidèrent de décaler les bois vers le fond. L’ensemble des morceaux de bois, hétéroclite en forme et en couleur, faisait alors écho à celui des encres également hétéroclite. Le réglage des lumières nous permit de projeter au sol et sur les murs, les ombres des encres se mélangeant à celles des morceaux de bois, créant un effet de continuité et une zone d’incertitude entre les deux installations qui n’en faisaient plus qu’une. Nous avons ainsi pu présenter dans un tout cohérent une multitude de travaux sur des papiers très variés (papier sulfurisé ou calque, papier japonais-washi, papier peluche, papier couché, papier journal…), qui concentre en une entité identifiable, toute la richesse et la diversité de ce qui la compose. Cette nuée de papillons peut aussi être vue comme une métaphore de mon atelier, lieu à partir duquel s’envole des tas de propositions vers des avenirs incertains, des regards incertains. Je pourrais faire un travail de séries en grand format à partir de chaque encre suspendue. Le regard extérieur influence plus qu’on ne croit les orientations des travaux à venir.
En éclairant fortement les pierres sur les côtés du choeur Jean-Yves et Antoine renforcèrent l’impression d’avoir brisé l’axe central de symétrie de l’édifice, tout en proposant une sortie sur le vide, sur le ciel, vers le monde des possibles, comme un ballon livré au gré des vents.
Le visiteur peut déambuler au milieu des encres, se laissant embarquer dans une expérience sensitive en palpant la rugosité, la douceur, le côté lisse, le côté souple ou rigide, ou simplement l’épaisseur des papiers offerts au toucher. Car il faut toucher le papier pour comprendre ce qu’il peut nous dire, avant de le remettre là où il se trouvait, suspendu à son fil dans le vide…
Ce dispositif autorise des interactions directes avec le public sans risque de transformer involontairement l’installation, ni de corrompre son envol perpétuel, lié à ce léger mouvement d’air rendu possible par le réglage de la soufflerie. On peut voir l’action des visiteurs sur la nuée comme les perturbations locales d’une mécanique céleste. Ceci nous renvoie à notre condition d’éternels essayeurs, remettre sans cesse l’ouvrage sur le métier, de générations en générations. Depuis combien de temps et pour combien de temps encore l’homme jette-t-il et jetera-t-il de l’encre sur du papier ? »

Extrait du catalogue de l’exposition au Sépulcre – 2017 :
« Colonnes : Le choeur est constitué d’une grande niche centrale, axe de symétrie par excellence. De part et d’autre de cette niche, un système de quatre colonnes organise chaque demi-espace en trois sous-espaces verticaux. Pour parfaire
notre parti pris de rupture de cette symétrie, nous avons suspendu cinq grandes encres, dont un triptyque faisant écho aux colonnes environnantes. Il était étonnant de voir comment de simples feuilles de papier (deux-cents grammes au m2), suspendues à un fil par des pinces à linge en bambou, prenaient leur place avec force et une certaine insolence devant toutes ces pierres, synonymes de solidité et de résistance aux assauts du temps.
Le bâtiment encadre les encres, à moins que les encres décorent le bâtiment ! Qui présente qui ?
L’immatérialité du dispositif de suspension des encres, uniquement identifiable par les pinces à linge, procure un effet d’irréalité à l’ensemble.
Le détachement du mur et le positionnement très bas des encres font disparaître le côté tarabiscoté du décor.
Au contraire, ce dispositif remet particulièrement en valeur toute la puissance évocatrice des colonnes qui renvoie à des épopées antiques.
En choisissant les trois encres du triptyque, nous avons souligné l’importance des textures, des plis et des replis, dans notre imaginaire, qu’ils soient évoqués par l’encre ou taillés dans la pierre.«
Chapelle de St Rigomer des Bois (72) – 2016
Dans la chapelle de St Rigomer des Bois (72) nous ne pouvions accrocher le moindre travail tellement les murs étaient occupés par des représentations iconiques peintes et sculptées. Nous avons tendu des câbles entre les grandes poutres traversantes afin d’y suspendre des encres placées deux par deux et dos-à-dos. Le visiteur pouvait alors entrer dans les bancs en bois pour regarder de près les grandes encres suspendues, ou simplement se promener dans l’allée centrale. Nous avions installé des lampes orientées sur les pavés de l’allée centrale, marquant ainsi un cheminement visuel appuyé vers la très grande encre peinte suspendue au fond de la chapelle. Nous avions retourné le choeur de la chapelle, il était alors dos à l’autel.



J’ai été sollicité à plusieurs reprises pour participer à des expositions thématiques et y ai participé, comme ce fut le cas en 2015 à l’Usine Utopik de Tessy/Vire sur le thème de la guerre 14-18, puis en 2016 à la galerie Medusa de Bayeux autour du Manuscrit de Bayeux, et plus récemment en 2017 à l’espace Michel Frérot de Thaon sur le thème des femmes illustres. Les contraintes imposées dans le cadre de ces expositions thématiques et collectives, me poussent assez naturellement à faire des installations, à mettre en scène mes encres, chose assez nouvelle pour moi et qui marqua un tournant dans la façon de penser mon travail.



