Darius

peintre-encrier

Lieux patrimoniaux

Avec la complicité de Jean-Yves Lepetit et d’Antoine Pérus (photo ci-dessus) de l’association Zinzolin, j’ai commencé à investir des lieux patrimoniaux, dans lesquels nous nous intéressons tout particulièrement à la confrontation du papier avec l’édifice monumental. J’y retrouve l’opposition entre la douceur du pinceau et la dureté du trait de l’encre. Cette confrontation de l’encre sur papier et de la pierre ou d’autres matériaux de construction, permet également une réflexion sur le volume et la lumière, mais aussi sur les formes. Elle souligne et met en valeur les caractéristiques plastiques de ces bâtiments patrimoniaux. Tout ce qui, a priori, s’oppose, dureté, lourdeur et opacité de la pierre, souplesse, légèreté et transparence du papier, finalement se mettent en valeur mutuellement dans une harmonie heureuse.


Cancan galerie à Villedieu-les-Poêles (50) – (2023)

Cancan galerie se situe dans la Tour au Dauphin, la plus ancienne maison (XVe siècle) de Villedieu-les-Poêles.

Pour l’acte II de l’exposition Kaiso-e, à Cancan galerie à Villedieu-les-Poêles, j’ai conservé l’idée d’une surface noire recouverte avec certaines algues qui m’ont servi à produire les encres de l’exposition. Le lieu ne me permettant pas les dimensions du mur dédié à cette surface au 102 Ter, j’ai donc utilisé une étagère des vitrines que l’on pouvait voir directement en entrant dans la galerie.

J’ai également installé une lisière de forêt, cloisonnant par un jeu de transparence l’espace. Enfin j’ai fait disparaître la verrière du grand couloir qui mène au jardin clos, par quatre de mes arbres géants (25 mètres de long chaque) que j’avais utilisés à Saint-Nicolas à Caen en 2019. Cet habillage de l’espace rendait la déambulation immersive. Il soulignait l’architecture très spécifique du lieu (plus vieille maison de Villedieu-les-Poêles), tout en transformant la perception que l’on pouvait s’en faire. C’est cette interaction intime entre un bâtiment et le visiteur qui y déambule, qui m’intéresse et que je cherche à provoquer.


102 Ter à Caen (2023)

L’exposition au 102 Ter, bd Leroy à Caen, est l’acte I d’une proposition en deux temps, dont le deuxième temps (acte II) a eu lieu à cancan galerie à Villedieu-les-Poêles, intitulée Kaiso-e, ou peindre avec l’algue. Cette proposition est le résultat d’une rencontre étonnante entre l’encre et les algues sous toutes leurs formes. A l’instar du gyotaku , l’art japonais de l’empreinte de poisson, l’algue possède, quand elle est encore « vivante », la capacité merveilleuse de rétention de l’encre, lui conférant un statut de pinceau…

Une forêt « sous-marine » a été installée, comme dans toutes les dernières expositions, profitant ici de la hauteur sous plafond d’environ 5 m, mais aussi de la possibilité de la voir par le haut depuis le premier étage en mezzanine.

Un mur d’encre noire propose une lecture des bas-reliefs et des algues, utilisées dans les travaux exposés, présentés dessus, grâce à une lumière rasante provenant de l’immense baie vitrée orientée au nord.


église St-Nicolas à Caen (2019)

L’exposition dans l’église Saint-Nicolas à Caen en juillet 2019 marqua un tournant significatif dans cette démarche et dans ma façon d’aborder le travail in situ. Au-delà de s’adapter aux contraintes et à la configuration des lieux afin d’orienter en amont le travail en atelier, la réalisation de la grande vélaire (https://youtu.be/bHEpCHni5oU), une encre de 50 m, dans le bâtiment, plusieurs mois avant l’exposition, fait prendre une autre dimension à notre approche, puisque c’est le lieu lui-même qui a permis la réalisation de l’encre. Une vidéo montre les problèmes techniques auxquels nous nous sommes confrontés pour l’installation de l’encre (https://youtu.be/f2uIgv04v3s). Une forêt de plus de 220 encres suspendues, dont les dimensions varient entre 25 et 50 cm de large et entre 200 et 400 cm de haut, permettait aux spectateurs une immersion complète dans l’installation.

A cette occasion j’ai invité la compagnie V.O. Olivier Viaud avec la danseuse Véronique Ben Ahmed pour deux performances Loïe notation, qui se sont déroulées les mardi 2 juillet et samedi 6 juillet dans l’exposition (https://youtu.be/9gSuaw5VVZQ).

Un livre a été édité aux éditions du Chameau (editionsduchameau.free.fr). Il est préfacé par Véronique Sablery et Keiko Arai. Les photographies du livre sont réalisées par Tristan Jeanne-Valès, Kévin Louviot, Claude Boisnard, Anita Rigot, Eric Bourdon, Denis Chasserot et François Bourdon.

Reportage effectué dans l’exposition dans l’église St Nicolas à Caen, le 2 juillet 2019 dans le cadre de l’émission « Là où ça bouge (LOCB) », et diffusé sur France 3 Normandie : https://www.youtube.com/watch?v=bdliNI3oBQY


Les fosses d’enfer à St-Rémy-sur-Orne (2018)

Les fosses d’enfer, à St-Rémy (14), est un ancien musée de la mine, qui avait gardé la mémoire d’une mine de minerais dont l’exploitation servait à alimenter les hauts fourneaux situés à Mondeville, près de Caen. Après de nombreuses années de service, le musée, tombé en désuétude, a été transformé en lieu d’exposition, de restauration et de médiathèque. Le bâtiment a été entièrement modernisé, tout en gardant les traces de sa spécificité originelle. J’ai eu la chance d’être le premier a exposer dans ce nouveau lieu en juillet et août 2018.

Bien que n’étant pas présent pendant les périodes d’ouverture de l’exposition, j’ai pu discuter avec des visiteurs lors du vernissage, lors des visites des élèves de maternelle de l’école de Saint-Rémy-sur-Orne, pendant les trois gardes que j’ai fait et lors de nombreux rendez-vous ponctuels. Plus de mille deux cents visiteurs ont pu voir l’exposition.
Nicolas Meterreau, l’architecte qui a restructuré les locaux, n’avait pas vu l’exposition avant le vernissage. Il était passé en coup de vent lors de l’installation et préférait garder la surprise. Lors du vernissage il m’a dit toute sa satisfaction et son grand étonnement de voir son bâtiment vivre avec la lumière, la mise en espace, les volumes… autant de caractéristiques qui traduisent la réussite de son projet architectural. Il m’a franchement remercié pour l’exposition qui a su mettre en valeur les traits principaux de son projet.
Beaucoup de personnes m’ont témoigné de l’effet positif et inattendu de l’exposition sur eux. Les enfants étaient ravis de se promener dans l’expo, avec une mention spéciale pour « La forêt ».
Pour ceux qui avaient vu l’exposition du Sépulcre, un sentiment de nouveauté dans une continuité évidente revient souvent. L’espace, bien que plus resserré, offre un grand volume avec un plafond relativement bas et des murs tout blanc. Nous avons déstructuré cet espace, tout en créant des lieux cachés dans une grande proximité avec les encres, rendant la déambulation plus intime. Cet effet est renforcé par une grande homogénéité des travaux exposés, l’ensemble ayant été fait entre janvier et avril 2018 avec le même outil.
Au départ nous voulions inverser la vidéo afin de donner l’illusion de peindre la lumière. Finalement cette idée a été abandonnée, le dispositif approchant cet effet sans aucun trucage.
Depuis la dernière exposition j’éprouvais l’envie de retravailler le geste guidé par la morphologie en mouvement de mon corps. Tout mon travail depuis début 2018 explore cette voie. Lorsque je me suis retrouvé dans l’exposition avec les enfants de maternelle, je leur disais qu’ils devaient s’imaginer faisant dans les airs de grands moulinets avec leurs bras tout en se déplaçant dans l’espace. Dans mon travail, l’encre fixe ces trajectoires sur du papier.
L’effet de surprise fonctionne très souvent chez le spectateur qui découvre pour la première fois mon travail. Cela peut s’expliquer en partie par la légèreté du papier flottant, sa transparence qui ouvre sur autre chose (suggestion) sans trop le dévoiler, et stimule l’imaginaire voire une forme de recueillement intime.
La vidéo, sortant de la pénombre du fond de la salle, intrigue ; le trait lumineux au centre de la forêt aussi. La proximité avec les installations, renforcée par la vidéo, donnent la sensation d’être très proche des encres, et de leur processus de gestation. Notre objectif était de montrer la réalisation d’une encre (le geste et sa dynamique), c’est-à-dire l’apparition d’une forme, sans me voir, ni même l’atelier. En dehors des coupes d’installation et d’arrêts du dispositif de filmage, la vidéo est brute de décoffrage en une seule prise de treize minutes représentant un seul geste continu. Jean-Yves a eu l’idée de faire vingt arrêts sur image en figeant le mouvement pendant cinq secondes, là où une encre aurait pu apparaître si j’avais travaillé sur du papier et non du verre.

Exposition inaugurale et solo dans le nouvel espace culturel (exposition, médiathèque et restauration) « les Fosses d’Enfer » à St Rémy-Sur-Orne, du samedi 23 juin au samedi 1er septembre 2018. Vernissage le samedi 23 juin avec la fanfare les Monty Pistons.

Cette exposition a été mise en scène par Jean-Yves Lepetit et Antoine Pérus de l’association zinzolin de Caen, avec la participation de Didier Malhaire, Anita Rigot, Jean Jonckeau, Fabienne Lachèvre-Frongia, Sophie Chrétien et Sophie Thibault.

A cette occasion j’ai rencontré trois groupes d’enfants des classes de maternelle de St Rémy-Sur-Orne et leur ai présenté l’exposition. L’un d’entre eux (Louis) a eu cette phrase empreinte de poésie et de pertinence devant l’une des encres présentées : « Les plumes elles sont heureuses… » Merci Louis !

Une vidéo était présentée dans l’exposition sur le travail du geste dans la matière.


Sépulcre à Caen (2017)

Dans l’exposition au Sépulcre en 2017, l’ensemble du bâtiment fût investi par des installations multiples, tirant parti des caractéristiques du lieu. La première forêt vit le jour.

Les textes qui accompagnent les images de ces installations sont des extraits du catalogue d’exposition édité aux éditions du Chameau en 2017.

L’organisation de l’exposition s’est jouée autant dans l’espace que dans la lumière, les matériaux et leurs oppositions, les contrastes, les transparences, les mouvements pour ne pas dire les battements, les surprises…

« Les encres, généralement suspendues à bonne distance des murs ou carrément au milieu de l’édifice, battaient au rythme du souffle du bâtiment. Le bâtiment est devenu une entité à part entière, vivante, avec ses différents organes obéissant à la pulsation variable, mais bien dictée par une source unique, la soufflerie. Exactement comme pour l’installation des papillons et celle de la forêt, les visiteurs pouvaient interagir avec cette pulsation, mais uniquement de façon anecdotique, provisoire, la soufflerie ayant toujours le dernier mot, un attracteur, insensible dans le temps aux perturbations locales, fussent-elles répétées.
La première salle, véritable sas entre l’extérieur et la pièce centrale de l’édifice délimite une zone préliminaire dans laquelle le regard s’interroge sur une première installation. Les matériaux utilisés ici ne sont pas décoratifs, ils introduisent l’alchimie qui opère dans ce qui va être présenté dans le cœur du bâtiment. Le statut de cette première installation porte l’ambiguïté en elle au point de se confondre avec les murs au risque de passer inaperçue. Ambiguïté qui brouille les frontières entre le travail et son élaboration. Rien n’indique au spectateur que ces bandes de bâche plastique, habituellement utilisées pour protéger les sols ou les murs pour le bricolage, ont joué un rôle important dans la réalisation des encres présentées dans l’exposition. Simple transfert de l’encre vers le papier, ou articulation plus fine entre le peintre et son objet. Le pinceau devient protéiforme, à la fois surface sensible et réceptacle, retenue et pourfendeur de formes et de lumière. »

« La première impression que l’on a, une fois passé le sas d’entrée, est un face à face avec ma série de cinq encres au format imposant (155 x 144 cm), dont la réalisation est très énigmatique. J’ai présenté ce travail, réuni pour la première fois ensemble, devant un mur blanchi à la chaux, sous les vitraux de la façade ouest de l’église. Un léger souffle d’air provoquait le balancement des encres comme une vague délicate pourrait se jeter sur l’estran par mer d’huile. »

Cette série à dominante noire et dorée, suspendue devant ce mur blanchi à la chaux, renvoie à la trace primitive sur la feuille de papier. L’édifice, au-delà d’un écrin, devient le support de la série. Il joue un rôle au même titre que le blanc des marges d’une gravure, dans l’équilibre entre le plein et le vide, si cher à la peinture asiatique.
Plusieurs personnes, connaissant le lieu, m’ont souligné comment cette interaction entre les encres et le bâtiment, permettait de le redécouvrir, de le voir autrement. Une alchimie émotionnelle opère, transcende l’exposition et l’édifice pour offrir quelque chose d’un autre ordre, d’une autre dimension, de nature méditative, apaisante, propice à un recueillement bienveillant dans lequel la vie à toute sa place. Nous nous y sentons bien, chez nous.
Une femme peintre est venue plusieurs fois. Nous avons longuement parlé. Elle a été troublée de prime abord, détestant le noir, lui renvoyant trop d’épisodes douloureux personnels liés à la disparition. Elle ne porte jamais de noir et ne l’utilise pas non plus dans sa peinture.
Son trouble venait du fait que le noir de mes encres se jouait de la lumière, de la transparence et du mouvement, lui évoquant la pulsation douce de la vie naissante dans le ventre d’une femme, à l’opposé de l’idée qu’elle s’en faisait. Elle restait fascinée par le mouvement de la forêt, hypnotisée, rêveuse et emplie d’un sentiment profond la mettant en empathie avec ce qu’elle voyait
.

« Nuée de papillons »

« Quand je suis allé à Taipei, j’y ai trouvé dans une librairie de livres d’occasion (Mollie used Books), le livre « Concious », absolument magnifique, du photographe chinois Chang Chih-huei. Ce sont essentiellement des photos noir et blanc de végétations à l’état naturel (forêts de bambou, arbres…). Les photos sont très stylisées, recadrées au format carré, avec une vision très asiatique de la nature. J’aime énormément ce genre de travail photographique, dans lequel la lumière est magnifiée par les nuances de gris des textures, et la nature devient une abstraction interprétative, comme peut l’être un trait de Matisse. On y voit des bambous, des troncs, des feuillages…, mais en même temps, par le côté formel et sensible (oxymore de l’art) on est transporté ailleurs. Je ressens la même sensation avec le trait de Matisse. On y voit ce qu’il représente, un visage, un corps, une fleur…, et en même temps une fragilité, une sensibilité, un doute, autant de dimensions qui nous ramènent à la vie, à notre condition, à la singularité de la vie, unicité dans la pluralité, unique à chaque fois et pourtant terriblement ressemblante aux autres vies. C’est précisément ce qui m’écarte des choses trop maîtrisées, qui m’apparaissent comme trop lisses.
Dans ce livre « Concious », une photographie m’a ému au point de m’en inspirer pour une installation de l’exposition. C’est une contre-plongée vers le ciel faite sous un arbre, où l’on voit un entrelacement gracieux, bien que désordonné, de branches et de feuilles fines et pointues comme des langues de chat (les gâteaux !), évoquant une nuée de papillons. Avec Jean-Yves, nous avions pensé faire une installation qui occuperait une partie du large volume dans le coeur de l’édifice, brisant sa symétrie architecturale trop prégnante. Ce que nous fîmes en remplaçant les feuilles par des feuilles de papier extraites de mes livres « Pentimento ». Jean-Yves avait pensé démarrer l’envol à partir de socles en bois, relativement massifs, à l’aplomb desquels sortiraient les premières feuilles, avant de s’élancer dans l’espace, soulignant ainsi l’effet de vide entre les socles et les feuilles suspendues. J’avais imaginé compléter ces socles en bois par des socles remplis de feuilles de papier et d’autres de cendre, la trilogie de l’encre. Finalement nous n’avons pas pu avoir les socles espérés, mais un ensemble très hétéroclite de petits morceaux de bois dans des essences variées en textures et en coloris.
Jean-Yves et Antoine commençèrent à installer les morceaux de bois sous la nuée constituée de cent trente-huit encres suspendues chacune à un fil de lin. Au lieu de se renforcer, les deux installations se nuisaient l’une à l’autre par une trop grande imbrication. Ils décidèrent de décaler les bois vers le fond. L’ensemble des morceaux de bois, hétéroclite en forme et en couleur, faisait alors écho à celui des encres également hétéroclite. Le réglage des lumières nous permit de projeter au sol et sur les murs, les ombres des encres se mélangeant à celles des morceaux de bois, créant un effet de continuité et une zone d’incertitude entre les deux installations qui n’en faisaient plus qu’une. Nous avons ainsi pu présenter dans un tout cohérent une multitude de travaux sur des papiers très variés (papier sulfurisé ou calque, papier japonais-washi, papier peluche, papier couché, papier journal…), qui concentre en une entité identifiable, toute la richesse et la diversité de ce qui la compose. Cette nuée de papillons peut aussi être vue comme une métaphore de mon atelier, lieu à partir duquel s’envole des tas de propositions vers des avenirs incertains, des regards incertains. Je pourrais faire un travail de séries en grand format à partir de chaque encre suspendue. Le regard extérieur influence plus qu’on ne croit les orientations des travaux à venir.
En éclairant fortement les pierres sur les côtés du choeur Jean-Yves et Antoine renforcèrent l’impression d’avoir brisé l’axe central de symétrie de l’édifice, tout en proposant une sortie sur le vide, sur le ciel, vers le monde des possibles, comme un ballon livré au gré des vents.
Le visiteur peut déambuler au milieu des encres, se laissant embarquer dans une expérience sensitive en palpant la rugosité, la douceur, le côté lisse, le côté souple ou rigide, ou simplement l’épaisseur des papiers offerts au toucher. Car il faut toucher le papier pour comprendre ce qu’il peut nous dire, avant de le remettre là où il se trouvait, suspendu à son fil dans le vide…
Ce dispositif autorise des interactions directes avec le public sans risque de transformer involontairement l’installation, ni de corrompre son envol perpétuel, lié à ce léger mouvement d’air rendu possible par le réglage de la soufflerie. On peut voir l’action des visiteurs sur la nuée comme les perturbations locales d’une mécanique céleste. Ceci nous renvoie à notre condition d’éternels essayeurs, remettre sans cesse l’ouvrage sur le métier, de générations en générations. Depuis combien de temps et pour combien de temps encore l’homme jette-t-il et jettera-t-il de l’encre sur du papier
? »

« Forêt »

« En septembre 2016 j’ai eu la chance de pouvoir visiter au Kanagawa Arts Theater de Yokohama l’exposition « The locked room » de l’artiste japonaise Chiharu Shiota. J’ai beaucoup aimé ce travail constitué d’un nombre incalculable de ficelles rouges nouées entre elles et reliées du sol au plafond pour former une immense toile d’araignée au milieu de laquelle les visiteurs pouvaient se promener en totale immersion. C’est précisément ce côté immersif qui m’a beaucoup plu et que j’ai souhaité reproduire dans cette exposition du Sépulcre. Ma première forêt était née. Paradoxalement en traversant l’œuvre nous nous retrouvions physiquement ailleurs, hors du bâtiment qui l’abritait. On retrouve cette sensation avec la littérature à la différence qu’ici c’est une sensation sensorielle et non purement intellectuelle.
La forêt, avec ses quelques quarante-cinq arbres-encre, réalisés sur de la toile de verre transparente, suspendus en leur centre, comme des kakemonos, permettait aux visiteurs de s’y frayer un chemin et d’avoir ainsi la sensation de sortir de l’exposition et du bâtiment. Ce sentiment d’évasion était renforcé par le léger mouvement des encres-arbre, conjugué avec les effets de lumière et de transparence en provenance des vitraux inondés par les rayons du soleil. J’ai réalisé des vidéos en plan fixe, témoins de cette téléportation sensorielle. Ces vidéos nous montrent avec une grande acuité toute la richesse et la complexité de l’installation. Le léger souffle, traversant en continu la forêt, rebondit sur chaque arbre avec des effets de rotation de l’encre autour de son axe central, mais aussi de balancement qui se conjuguent. Le déplacement d’un arbre provoque/agit sur celui, concomitant, de ses voisins. Il en découle un ballet d’une lenteur apaisante dont la chorégraphie, bien que très difficilement compréhensible, n’en est pas moins très perceptible.
En approchant les bords extérieurs de la forêt, la transparence des encres-arbre permettait de découvrir le reste de l’exposition. »

« Pentimento

« En regardant de loin vers le fond de l’église, le visiteur n’apercevait qu’un très grand mur blanc, barré de deux traits noirs, une rampe de spots et une ligne à vingt-cinq centimètres du sol. Après avoir dépassé la forêt, le trait bas apparaissait comme une table basse de plus de dix mètres de long, sur laquelle dix-neuf boîtes, au format carré, étaient posées à plat, collées les unes aux autres.
Chacune d’elles renfermait une double page, extraite d’un Pentimento, réalisée avec de la peinture d’imprimerie sur du papier journal. Cela ne s’invente pas, mais représente métaphoriquement le recyclage des choses. En effet ce sont exactement les mêmes matériaux qui sont utilisés pour faire les journaux. L’art est peut-être caché dans les choses de la vie courante, une histoire de point de vue, d’angle…
Cette installation fait référence à la « nuée de papillons », elle aussi constituée de feuilles extraites de Pentimento (ou repentir en peinture), ces encres inachevées, parce que non réussies, qui ont été pliées en deux, puis en deux, etc…, jusqu’à obtenir le format voulu d’un livre, et ainsi avoir une seconde chance. Le hasard participe à une recomposition de l’encre, dont le résultat est souvent intéressant, ce qui peut s’expliquer par la cohérence/structure de l’encre initiale.
Contrairement aux papillons de la nuée, ici ces pages sont d’une très grande fragilité au toucher et à la manipulation.
En imbibant le papier très fin, d’encre grasse à base d’huile, il devient parfaitement translucide et cassant avec le temps sous les effets de la lumière intense.
Cette présentation à plat permet de préserver le pli central de la double page en évoquant le livre d’où elle est extraite.
La longueur de la table lui permettait de disparaître de part et d’autre du champ de vision, se fondant ainsi dans le décor. Sa position relativement proche du sol et détachée du mur, offrait une vision globale au visiteur, en ramenant son regard vers les très beaux pavés anthracite de l’édifice.
Nous retrouvons ici l’idée récurrente de l’exposition, qui consiste à renverser la métaphore/fonction première de l’édifice, qui était d’élever le regard des croyants vers le ciel, en s’appuyant sur les hauteurs et les volumes impressionnants, baignés d’une lumière céleste (vitraux), en emmenant le visiteur à descendre son regard vers la matérialité de l’édifice, de ses constituants et donc de lui-même.
Il ne s’agit plus d’utiliser l’église pour atteindre un paradis céleste, mais l’art pour redécouvrir la beauté des choses matérielles et la sérénité qu’elle peut nous apporter.
Cette première installation du fond, dénote du reste de l’exposition par les couleurs qui y sont conviées. Une autre particularité vient de la transparence du papier huilé.
Certaines double-pages étaient présentées au recto, c’est-à-dire sur la face peinte, alors que d’autres l’étaient au verso, sur la face a priori vierge de toute peinture. Dans les deux cas un travail de peinture était bien visible. Les parties extrêmement foncées au recto deviennent, par un procédé d’inversion, très claires au verso. »

« Colonnes »

« Le choeur est constitué d’une grande niche centrale, axe de symétrie par excellence. De part et d’autre de cette niche, un système de quatre colonnes organise chaque demi-espace en trois sous-espaces verticaux. Pour parfaire
notre parti pris de rupture de cette symétrie, nous avons suspendu cinq grandes encres, dont un triptyque faisant écho aux colonnes environnantes. Il était étonnant de voir comment de simples feuilles de papier (deux-cents grammes au m2), suspendues à un fil par des pinces à linge en bambou, prenaient leur place avec force et une certaine insolence devant toutes ces pierres, synonymes de solidité et de résistance aux assauts du temps.
Le bâtiment encadre les encres, à moins que les encres décorent le bâtiment ! Qui présente qui ?
L’immatérialité du dispositif de suspension des encres, uniquement identifiable par les pinces à linge, procure un effet d’irréalité à l’ensemble.
Le détachement du mur et le positionnement très bas des encres font disparaître le côté tarabiscoté du décor.
Au contraire, ce dispositif remet particulièrement en valeur toute la puissance évocatrice des colonnes qui renvoie à des épopées antiques.
En choisissant les trois encres du triptyque, nous avons souligné l’importance des textures, des plis et des replis, dans notre imaginaire, qu’ils soient évoqués par l’encre ou taillés dans la pierre. »


Chapelle de St Rigomer des Bois (72)(2016)

Dans la chapelle de St Rigomer des Bois (72) nous ne pouvions accrocher le moindre travail tellement les murs étaient occupés par des représentations iconiques peintes et  sculptées. Nous avons tendu des câbles entre les grandes poutres traversantes afin d’y suspendre des encres placées deux par deux et dos-à-dos. Le visiteur pouvait alors entrer dans les bancs en bois pour regarder de près les grandes encres suspendues, ou simplement se promener dans l’allée centrale. Nous avions installé des lampes orientées sur les pavés de l’allée centrale, marquant ainsi un cheminement visuel appuyé vers la très grande encre peinte suspendue au fond de la chapelle. Nous avions retourné le choeur de la chapelle, il était alors dos à l’autel.


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