Darius

peintre-encrier

sumi-washi – sépulcre

(préface du catalogue de l’exposition)

Étalée au doigt, à la plume, au pinceau, à la raclette, au balai, en vagues, en tourbillons, l’encre se déploie, se
déplie de mille façons.


Sous la pression du corps, elle glisse, s’étire, ripe, dérape, file, s’insinue sur la blancheur inerte du support.
Et lui donne vie.
La forme s’allonge, se contracte, s’use ou renonce. Par à-coups ou dans un lent essorage.
Spontané ou exigeant, pulsionnel ou distancié, le geste – dans l’encre – commande un engagement corporel sincère.
Sans retour, ni repentir.


Pour devenir l’empreinte d’un passage, le dépôt d’une énergie habitée par un auteur, le souvenir d’un contact
physique qui a eu lieu mais n’est plus.
L’oeil du spectateur se glisse dans les épaisseurs et les transparences, dans l’opaque et le presque rien, dans
l’évidence d’un unique trait de pinceau ou dans des plages d’incertitude.


Sans chronologie, sans logique préétablie. Avec des béances, des résurgences, des entrelacs…
Comme un regard en action qui essaie de comprendre, qui mélange faits et fiction, images récurrentes et visions fugitives. Comme un montage cinématographique dans lequel réalisateur et spectateur ne sont qu’un.
Avec l’encre, le point de vue cesse d’être unique comme dans la peinture classique.
Instable, il se décale, se multiplie, s’enchevêtre. Mais de façon ténue et paradoxale, en jouant sur le vide et le plein, la présence et l’absence, l’apparition et la disparition.


L’encre jette un doute sur la nature exclusive des éléments plastiques qui la composent. Un vide n’en est pas vraiment un puisqu’il révèle le support dans sa matérialité. Ou qu’il ne doit son existence qu’au plein qui l’accompagne.
Quant à la marque déposée sur le support, elle ne fait « figure » que jusqu’à ce qu’elle s’éclipse derrière le
« fond » pour lui laisser le premier rôle.
« Figure » et « Fond » existent… mais restent versatiles, et peuvent à tout moment être pris de tremblement et
s’inverser.
Le support poreux ou translucide interdit ce qu’impose une production artistique conventionnelle : séparer
l’envers de l’endroit et clore la production sur-elle-même.
Ici, le coup de pinceau est visible des 2 côtés. Y compris au dos : à l’identique, fantomatique ou devenu autre tout en restant lui-même. Au spectateur de déambuler autour pour tout saisir.


Et quand l’accrochage est multiple, qu’il se fait « FORÊT », une encre n’en cache jamais une autre. À travers chacune d’elles, la lumière révèle celles de derrière. Jeux de superpositions hasardeuses, mouvantes – le temps d’un regard. Art cinétique ou film d’animation ?


Dans les encres de Darius,
tout bouge.
Dans une parfaite immobilité.


jean-Yves Lepetit

© 2024 Darius

Thème par Anders Norén