Darius

peintre-encrier

huiles

(sur toile)


Extrait du catalogue de l’exposition au Sépulcre – 2017

« Pentimento...

…Cette ligne reliait deux très grandes toiles (deux mètres cinquante au carré) suspendues au fond des deux renfoncements marquant la limite accessible de l’édifice.
Ces deux toiles peintes à la peinture à l’huile sur lin sont des sortes de jumelles se défiant l’une l’autre. Représentant un rond dans un carré, elles font directement écho à l’architecture de cette partie de l’édifice, avec ses voûtes rondes qui les surplombent.
Il est impossible de regarder simultanément les deux toiles.
le spectateur doit choisir et mémoriser, mémoriser les ressemblances, les différences, les préférences.
En plaçant les deux toiles ici, nous faisions référence à leur incongruité dans l’exposition consacrée à l’encre et au papier. Il ne fallait donc pas les voir de prime abord.
D’une certaine façon elles représentent l’au-delà, l’au-delà de la forêt, mais aussi l’au-delà de mon travail, car ce sont parmi les choses les plus récentes que j’ai faites dans mon atelier, dans une direction nouvelle. Ce que représente très bien la topologie du bâtiment, en passant de l’axe sudnord, à l’axe ouest-est. L’au-delà de l’encre-papier, car j’étais curieux de voir l’influence de dix années d’encrier sur mon travail à l’huile.
Ma première grande toile dans cette veine, a été faite l’été dernier en partant d’une petite encre faite dans un carnet de croquis. Je cherchais à reproduire à l’huile les variations de textures et de lumière qu’autorise l’encre sur le papier. La magie de l’encre à produire la lumière et ce qui va avec, peut être prise comme une frustration par celui qui opère, même si d’autres aspects subjectifs entrent en jeu. L’huile sur toile nécessite un apport plus personnel, pour que cette magie opère. La petite encre initiale était mi-abstraite, mi-figurative (à l’équilibre…).
J’ai dû la choisir inconsciemment car elle me remettait au coeur de tous les possibles entre figuratif et abstraction.
On voyait un personnage mythologique, androgyne, avec des grands voiles lui conférant une sorte d’élan arrêté et un corps fait d’aplats noirs d’où jaillissait la lumière. Mes expériences récentes, consistant à border de noir mat mes grandes encres, en ayant recours à la peinture à l’huile, me rendait circonspect sur mes capacités à reproduire à l’huile ces nuances de lumière. Je me lançais sans réfléchir, à l’instinct, lançant des petites touches très vite, comme obéissant sans le savoir à un rythme, une musique. J’étais en train de transposer à l’huile sur toile la gestuelle si particulière au traitement de l’encre sur le papier. Le résultat me surprit. Non seulement j’avais fait apparaître la lumière, mais en plus dans des variations aussi riches que prometteuses. Avant même d’avoir terminé cette première toile, la suivante se dessinait très clairement dans ma tête.
Ce fut l’une des deux exposées ici. Ce serait un grand cercle entièrement constitué des motifs de la première. J’ai fait cette toile d’une seule traite, retrouvant la gestuelle de l’encre, mais aussi l’improvisation, la légèreté et la jubilation de quelque chose qui se fait hors sol, dans le souffle, sans obstacle, dans une sorte d’évidence.
Cette toile est hypnotique. Quelques visiteurs m’ont dit être dérangés en la regardant, pris par un espèce de vertige qui vous fait perdre l’équilibre. Une jeune personne m’a demandé comment j’avais fait les ronds. Cette question, a priori anecdotique, est en réalité assez profonde. J’ai répondu que je les avais fait de la plus simple des méthodes, avec une épingle, une ficelle et un crayon. Cette question du rond pose celle de la forme. J’ai choisi la forme par excellence, la plus symbolique qui soit, celle du ventre de notre maman, lieu du début de notre histoire individuelle, mais aussi celle de la terre et plus généralement des planètes, qui renvoie au cosmos et à notre finitude. En réalité la forme n’apparaît pas pour elle-même, mais par ce qu’il y a en son sein, le motif, la structure interne qui la compose. Cela évoque le problème philosophique du fond et de la forme. Mon ambition esthétique est que le fond fasse émerger la forme.
Avec le rond nous sommes en terrain connu. Ce n’est pas complètement un hasard si d’aucun voyait une femme alors que d’autres voyaient une colonie de manchots ou d’humains.
Dès lors que la première toile « ronde » était faite et prévue pour aller dans l’alcôve du fond de l’église, il était évident qu’il fallait que j’en fasse une jumelle pour l’alcôve opposée. Pour différencier la seconde de la première, sans renier une filiation plus qu’évidente, je prenais soin de poser une première couche de peinture sur le rond, un mélange de blanc et de rouge, me permettant de faire chanter différemment la lumière, la première toile ayant été peinte directement sur la toile.
La plupart des visiteurs pensaient que cet éclairage particulier venait des spots qui éclairaient la toile. Pour marquer encore un peu plus la différence avec la première, j’ai joué sur la largeur des touches et une tonalité globale plus claire. Malgré tout ceci j’ai retrouvé avec cette deuxième toile les mêmes sensations qu’avec la première, la série était lancée et la transition encre-huile prenait corps.
Pour revenir à l’opposition fond-forme, je souhaite m’écarter des formes symboliques, pour aller vers une nouvelle écriture de formes que j’ai eu l’occasion de travailler avec mon travail d’encrier. Leur nouveauté laisse entière liberté d’expression et surtout d’interprétation au fond, je veux dire le motif, la structure, le trait (unique ou multiple), la lumière. En quelque sorte la forme ne viendra plus influencer l’interprétation du fond, mais elle émergera par et grâce au fond. Le rond que l’on voit, même déformé, fait appel au modèle du rond, sa singularité. Il nous renvoie immédiatement aux champs de ses nombreuses instanciations, de ses interprétations. La forme qui émerge apparaît au départ comme une incongruité, elle ne fait référence à rien de connu qui pourrait guider le processus interprétatif. Les deux toiles « rondes » font donc directement allusion à cette notion d’incongruité, par l’écart au reste de l’exposition qu’elles représentent, tout en portant en elles justement ce qui représente le contraire de l’inconnu, de l’incongru. Certains parleraient d’une mise en abîme. De mon point de vue, il s’agit d’un jeu de miroir qui rappelle la circularité des choses et leur relativité. Le rond, bien que l’antithèse de l’inconnu, apparaît comme tel là où il est positionné dans l’exposition.
Tout l’enjeu de mon travail de peintre-encrier, sur la matière et la lumière, à l’image de l’encre, est de s’abstraire de la forme, au sens de son contour, ou de sa représentation modélisée, pour la construire par le fond, par son instanciation, sans cesse répétée, le début d’une grande série, d’autres installations… dans des lieux patrimoniaux, de préférence…

…Suspendre une toile avec son châssis comme une encre flottante pourrait être perçu comme une idée fixe et gratuite. Cette huile, avec son alter ego, sa voisine d’en face, renvoie à plusieurs dimensions de mon travail.
Cette présentation, avec les pinces apparentes et un détachement du mur, rappelle la légèreté des travaux sur papier, mais aussi la façon dont je travaille dans mon atelier. Je ne monte pas mes toiles sur un châssis, mais sur un support plein, de cette dimension, également détaché du mur, me permettant d’y pincer ma toile pour la tendre.
C’est donc un clin d’oeil, comme il y en a d’autres dans cette exposition, au chaudron duquel sont sortis tous ces travaux. Cela me permet de rappeler qu’il s’agit avant tout d’un travail d’atelier, purement imaginaire et sensible.
Ces deux toiles ont été cachées à la première vue des visiteurs déambulant dans la grande salle, pour créer un effet de surprise, mais pas seulement. Toute l’exposition intitulée « Sumi-washi » est tournée vers l’encre et le papier, même si de façon marginale je présente des travaux utilisant aussi un peu de peinture à l’huile. à priori ces deux travaux ne devraient pas avoir leur place ici. Leur mise à l’écart renvoie en quelque sorte à cette incongruité.
mais elle n’est qu’apparente, car ces deux toiles, bien que très récentes, ont une histoire. Depuis plus de dix ans je travaille exclusivement l’encre dans une approche abstraite.
Cette période avait mis fin à une période plus ancienne, assez douloureuse, dans laquelle je m’étais frotté à la peinture à l’huile figurative et coloriste. Je voulais savoir en quoi ces années d’abstraction gestuelle et encrière, au service de la lumière et des textures, pouvaient influencer mon approche de la peinture à l’huile. J’avais envie de renouer avec ce médium mais dans une nouvelle veine d’abstraction gestuelle et sur de grands formats. Ce que je fis avec ces deux toiles. Elles représentent donc une nouvelle direction en continuité avec mon travail actuel d’encrier. Je dirais même plus que j’ai réalisé ces deux toiles comme des encres, c’est-à-dire dans la rapidité du geste improvisé, où la lumière se crée par des variations infimes issues d’une rythmique corporelle et sensible. Finalement ces deux toiles ouvrent sur de nouveaux horizons, en cohabitation étroite avec le travail de l’encre sur papier que je n’abandonne absolument pas. Non seulement elles ont leur place dans cette exposition, mais en plus elles témoignent de ma façon particulière d’aborder la peinture par la voie de l’encrier. »


Je voulais savoir en quoi ces années d’abstraction gestuelle et encrière, au service de la lumière et des textures, pouvaient influencer mon approche de la peinture à l’huile. J’avais envie de renouer avec ce médium mais dans une nouvelle veine d’abstraction gestuelle. Ce que je fis avec ces toiles. Elles représentent donc une nouvelle direction en continuité avec mon travail d’encrier. Je dirais même plus que j’ai réalisé ces toiles comme des encres, c’est-à-dire dans la rapidité du geste improvisé, où la lumière se crée par des variations infimes issues d’une rythmique corporelle et sensible. Finalement ces toiles ouvrent sur de nouveaux horizons, en cohabitation étroite avec le travail de l’encre sur papier que je n’abandonne absolument pas. Elles témoignent de ma façon particulière d’aborder la peinture par la voie de l’encre.

L’encre ci-dessous a été présentée au Japon (exposition « 19 Plus Mugendai » à Tokyo) en juillet 2018. Saburo INAGAKI, responsable à l’époque du groupe de peintre tokyoïte Sumie-Ten, et hélas décédé depuis, me fit ce commentaire après l’avoir vue exactement comme elle apparaît sur la photo prise à Tokyo par Jean-Noël Lecomte :

« Hi Darius,

I saw your work at 19 PLUS MUGENDAI exhibition at MEguro Art Museum. « …Your sun with sumi was exhibited in square frame made by Mr. Leconte. It seemed like the sun which is looked as meditating the last of the cosmos… »


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1 Commentaire

  1. Le Retif 6 novembre 2021

    Je découvre ton travail qui me plaît beaucoup et je songe au temps qui passe, nous fait espérer puis vivre ces instants de création jouissive!

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